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18 mars 2020

Mes premiers témoins

Les témoignages, et encore moins les arguments, ne suffisent pas pour convaincre d'un phénomène. Seule l'expérience vécue, quand on se heurte au réel ou que l'on est touché par un témoin, peut transformer un esprit et façonner ses pensées. 

C'est la raison pour laquelle Mountain Wilderness a organisé, au premier semestre 2020, les manifestations "Encordés pour le climat". L'idée était simple : les montagnards sont parmi les premiers à voir, de toute évidence, les effets visibles du réchauffement climatique. A eux d'en témoigner et d'aller au contact des gens de la ville ou de la plaine qui doutent encore. 

Depuis deux jours, j'ai rencontré mes premiers témoins de la dangerosité du virus. Ce sont encore des témoins indirects, au second degré. D'abord, une amie dont la fille travaille dans un hôpital de la région Est et qui témoigne de l'afflux de malades et de la saturation des services de soins. Ensuite, un voisin dont un client distant, encore une fois dans l'Est de la France, pleure sa voisine décédée.

Des êtres, uniques, disparaissent dans le tragique.

FO, 18 mars 2020

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17 mars 2020

Le moment Gramsci

Jamais la célèbre citation d’Antonio Gramsci, dans ses Cahiers de prison, ne m’a parue aussi juste et pertinente pour décrire le moment présent :

« Il vecchio muore et il nuovo non puo nascere ; e in questo interregno si verificano i fenomeni morbosi piu svariati »

« Le vieux (monde) est en train de mourir et le nouveau ne peut pas naître ; et dans cet interrègne les phénomènes morbides les plus variés se produisent."

Une traduction française fréquente est moins exacte mais plus percutante :

« Le vieux monde se meurt, le nouveau monde tarde à apparaître et dans ce clair-obscur surgissent les monstres ».

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Le monstre, on ne parle que de lui. Il est là, se propage, nous confine et nous apeure. D’autres monstres affleurent ici ou là et nous guettent : la méfiance insidieuse de chacun envers tous, la panique, l’injonction à la docilité, la soumission, l’intolérance aux propos dissonants …

Depuis longtemps, écologistes et environnementalistes dont je suis en appellent à l’évolution du vieux monde et à sa disparition dans ses formes malades et pathogènes. Il faudra bien que des choses du passé meurent, dans nos institutions et nos comportements, pour préserver la paix entre les humains, en finir avec l’intoxication à la croissance, le mauvais usage de la chimie et les projets inutiles et néfastes. Avec l’inertie de la société et des chantiers, nous voyons et verrons encore construire des vestiges d’une époque révolue, obsolètes et saugrenus dès le premier jour, telle cette autoroute urbaine élargie pour plaire aux actionnaires du BTP, telle cette retenue collinaire imaginée pour alimenter des canons à neige et qui sera rapidement rendue à la nature, décrépie, hébergeant faune et flore dont la capacité d’adaptation ne finit pas de m’émerveiller.

Le nouveau monde se dessine dans les idées et les soirées, les actions militantes, les projets et entreprises qui misent sur les circuits courts et l’économie circulaire, et dans les urnes où les rapports de force partisans évoluent. Le nouveau monde se devine aussi dans la radicalité des changements que la société s’impose pour faire face à la crise et dont certains auront des effets persistants. Je me risque à quelques pronostics qui sont autant d’invitations à débattre.

La mobilité longue distance à tout va, la mobilité comme fin en soi, en croissance perpétuelle, c’est fini. On le pressentait déjà dans les statistiques, dans ce mouvement naissant de la « honte de prendre l’avion », dans diverses lectures autour du thème de l’effondrement. On le disait dans les argumentaires et les recours contre des projets d’infrastructures de transport. Maintenant, les aménageurs ne pourront plus s’abriter derrière d’invraisemblables courbes cherchant à démontrer l’impérieux besoin de construire, d’élargir, de fluidifier.

L’impuissance du politique, alibi de l’inaction pour l’environnement et contre le réchauffement climatique, devient discours inaudible et ridicule. Longtemps, nous avons été abreuvés d’affirmations péremptoires sur l’impossibilité de réguler telle ou telle activité, sur la contrainte budgétaire, sur la lenteur nécessaire des processus décisionnels. Et voilà que tout saute d’un coup. Il faudra s’en souvenir quand la sérénité retrouvée, au moins partiellement, nous permettra à nouveau de participer à la vie publique et d’afficher des propositions autrefois perçues comme utopiques ou fantaisistes. D’ailleurs, il y a fort à parier que les gouvernants eux-mêmes, ayant constaté l’étendue réelle de leur pouvoir, voudront poursuivre sur leur lancée. Nous aurons alors le choix entre l’autorité renforcée et la vigueur démocratique renouvelée.

La clairvoyance dEdgar Morin illumine la noosphère et seul l’âge lui rend le triomphe modeste. La segmentation des sujets et des disciplines peut nous être fatale. La transdisciplinarité est une exigence. On ne pourra plus parler d’environnement en oubliant la santé, de nature en écartant la culture, de milieux sans s’intéresser à leur usage, de projets indépendamment de leur financement.

Au plus profond de la crise virale, le futur est notre responsabilité.

Francis Odier, 16 mars 2020

Nb : merci à Jean-François Comte pour ses trouvailles et références culturelles.

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Le coronavirus révèle les mauvais choix de gestion de l'hopital public

Le confinement n'a pas pour objet de réduire le nombre de personnes atteintes, mais de lisser leur contagion pour permettre à des hôpitaux dont on a réduit les moyens d'absorber cette charge "ponctuelle" sans pic.


C'est, faute d'une mémoire entretenue de la fragilité de l'espèce humaine, l'échec d'une politique menée depuis des années en méconnaissance du principe de précaution.


La situation, hors son effet quantitatif, n'est pas différente de celles de Lubrizol et de la Faute-sur-Mer (inondations après la tempête Xynthia en 2010). 


Cette précaution, qui relève par excellence du pouvoir régalien de l'Etat, nos dirigeants l'ont oubliée au moment même où ils l'inscrivaient dans une charte de portée constitutionnelle (la charte de l'environnement). Macron, dans son discours de jeudi 12 mars, l'a d'ailleurs presqu'explicitement admis, reconnaissant que la régulation par le marché n'était pas une bonne chose lorsqu'une Nation est en danger.


J'attends avec impatience le retour d'expérience des évènements en cours : saurons-nous tirer de la situation les enseignements comme nos aïeux ont su le faire en d'autres circonstances, alors que nous les avons si facilement exclus de nos raisonnements ?

Emmanuel Wormser, 16 mars 2020

 

En complément, je vous invite à lire trois articles du professeur André Grimaldi qui, depuis des années, alerte sur la dangerosité et l'absurdité de la tarification à l'activité dans l'hôpital public. 

La crise sanitaire actuelle lui donne malheureusement raison. Invité le 13 mars sur France Culture, il dénonçait à nouveau l'austérité budgétaire et le principe de la tarification à l’activité :

« Mais il faudra des infirmières, des infirmières formées présentes 24h/24 heures. Donc, on va payer aussi dix ans d'une politique, et qui a continué encore ces trois dernières années malgré nos alertes ! Rappelez-vous que le plan d'urgence présenté par le Premier ministre pour l'hôpital l'a été après même que l'Assemblée nationale avait voté un budget d'austérité ! C'est à cause de la mobilisation des soignants qu'en urgence on a dit qu'il fallait un rectificatif.

Cette épidémie montre l'absurdité du système hospitalier actuel. Il n'est pas adapté aux urgences, à la réanimation, aux maladies chroniques. On le dit depuis dix ans. On l'a dit à madame Buzyn qui en avait convenu, mais qui n'en a rien fait. Du point de vue de l'hôpital, les mots ne suffiront pas »

16 mars 2020

Le virus d'écrire

Actualité oblige, je reprends la plume sur ce blog trop longtemps délaissé.

Le virus ralentit l'économie et échauffe les esprits. Il n'est pas encore interdit de penser. Que nous dit le virus ?

Cette crise sanitaire est tragique par l’autoritarisme centralisé qui se manifeste (quand la catastrophe arrive, il est trop tard pour promouvoir la démocratie) et le repli sur soi qui est proclamé comme obligatoire. Chacun est invité à se méfier de tous, porteurs potentiels du virus. Les appels légitimes à l'hygiène et à la prudence pour ne pas propager l’épidémie devraient être accompagnés d’appels à la fraternité, à la confiance mutuelle et au discernement. Il nous faut résister à l’injonction gouvernementale de distanciation sociale.

J’étais hier en montagne, sur un site fréquenté, et j’étais heureux et rassuré de constater que les randonneurs et skieurs se saluaient comme à l’accoutumé, en camarades de rencontres partageant les mêmes beaux espaces, et non en virolés potentiels. Mais, au bureau de vote, l’ambiance était bien différente … C’est un homme masqué et ganté qui nous accueillait, au mépris de la loi interdisant de se cacher le visage dans les espaces publics ! Un cheminement à sens unique était balisé, ruinant tout espoir de croiser une ancienne connaissance avec qui échanger quelques mots. Le vote réduit à la procédure, triste comme la technocratie.

Quand pourrons-nous débattre paisiblement du virus, ses racines et ses graines ?

Comme après chaque crise, il nous faudra ramer beaucoup pour faire valoir les enseignements tirés de cette épreuve collective et éviter que le business as usual ne revienne au galop.

Si notre métier, vocation et raison d’être, est d’œuvrer pour le et les biens communs, nous pouvons relire La Peste : « Le docteur ouvrit la fenêtre et le bruit de la ville s’enfla d’un coup. Rieux se secoua. Là était la certitude, dans le travail de tous les jours. Le reste tenait à des fils et à des mouvements insignifiants, on ne pouvait s’y arrêter. L’essentiel était de bien faire son métier ».

Francis Odier, 16 mars 2020