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04 juin 2020

Retour aux sources

Les signes ne trompent pas. Les masques ont été distribués, la surproduction pointe son nez dans les usines textiles reconverties en urgence, les services de réanimation ont récupéré des lits, l'application Stop Covid est en phase de test, le pays est maintenant prêt à faire face … l'épidémie est finie. 

C'est le moment de s'interroger sur les sources. 

Reprenons le fil des événements : le problème n'était pas le virus seul contre lequel même le professeur Raoult ne peut pas grand chose, mais plutôt la capacité des hôpitaux à absorber le flux de malades. Les hasards de la vie et un prochain déménagement me font brasser ma collection de vieux journaux. Que vois-je ? Un article du Monde de septembre 1996 : "Les préfets sanitaires ont été nommés au conseil des ministres. Les vingt-quatre agences de l'hospitalisation devront réduire le nombre de lits et d'établissements (...) Ces hauts-fonctionnaires auront la lourde responsabilité de restructurer le tissu hospitalier le plus dense et sans doute le plus couteux d'Europe".

C'est le début de notre histoire, la lointaine source de la panique qui a saisi le pouvoir au moment où il a compris, en mars dernier, que notre système de santé risquait fort d'être débordé, saturé, défaillant, d'où le confinement brutal qui fut décidé.

Après les agences régionales de l'hospitalisation mises en place en 1996, il y eut les agences régionales de santé, mais la politique fut la même, avec constance : restructurer, réduire les lits, limiter les dépenses visibles. Avec les résultats que l'on connaît. 

Le Monde, quand on le lit plus de 20 ans après publication, est vraiment un bon journal. Il nous donne même la clef des disparités régionales observées dans cette crise sanitaire. Voici l'entame du dernier paragraphe : "Dans les régions aux surcapacités notoires (notamment Ile de France, Alsace) …". Stupéfiant mais logique ! Les régions qui ont le plus souffert du virus sont celles où les cost killer de la santé ont été particulièrement encouragés à sévir. La politique, les services publics, la vulnérabilité ou la résilience, tout se construit dans le temps long, très longs. C'est d'ailleurs ce que disent les lanceurs d'alerte sur le dérèglement climatique, mais je digresse.

Le Monde, il faut le lire avec soin, est généreux en précisions. Il nous donne le profil des préfets sanitaires qui viennent de différents horizons. Sur les 24 postes, il y a un médecin. Un seul. Et quand même 3 anciens directeurs d'hôpitaux. Les autres viennent de la préfectorale, du ministère de l'industrie, des services administratifs du ministère de la santé, ou du privé. Le préfet nommé en Ile de France dirigeait auparavant un groupe de cliniques privées. Pour l'Alsace, "où l'offre de soin est pléthorique" nous dit le Monde, le gouvernement a choisi un homme à poigne, ancien directeur de cabinet du préfet du Val-de-Marne. 

Bien sûr, tout n'était pas inscrit dès 1996. Il y eut des virages et peut-être des rattrapages. Mais la tonalité était donnée. La suite, je vous l'épargne, vous la connaissez. Jusqu'aux manifestations, cris d'alerte, suppliques des personnels hospitaliers qui ont empli progressivement l'espace public, sans infléchir, ou presque, la politique de santé. 

En 1996, les surcapacités étaient peut-être là, avérées. Je n'en sais rien. Mais assez vite, dès le milieu des années 2000 et la mise en place de la tarification à l'activité, il était visible, à condition d'écouter les professionnels de santé, que les gouvernements faisaient fausse route. 

Voilà ce qui est le plus difficile dans la pensée et, j'extrapole, dans l'art de gouverner : savoir changer d'idée, se détacher d'une idée que l'on a cru bonne et fructueuse pendant une période, comprendre que le mur est devant et qu'il vaudrait mieux tourner.

A trop tirer sur la corde ... Parfois, la sagesse populaire est meilleure conseillère que les managers zélés déguisés en grands serviteurs d'Etat. 

Francis Odier, 4 juin 2020