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28 mars 2020

Le biais de confirmation

L'avez-vous observé ? Alors que les confinés ont du temps disponible pour s'informer et exercer leur discernement, la crise que nous vivons a surtout tendance à renforcer chacun dans ses convictions. Le légitimiste approuve sans réserve la gestion de crise par les autorités, les lanceurs d'alerte "qui l'avaient bien dit" sont en rage, l'inquiet vire anxieux, l'hypochondriaque voit des virus partout, les esprits critiques se déchaînent ou se réfugient dans le doute pour s'affranchir du consensus oppressant, les marseillais soutiennent le professeur Raoult, les anticapitalistes en font des tonnes sur le crépuscule du libéralisme, les écologistes parlent du climat, les naturalistes mettent en cause l'affaiblissement de la biodiversité, les collapsologues voient leur jour de gloire arrivé.

Il faut dire que le président Macron et le gouvernement donnent l'exemple : ils réagissent avec leurs tripes et leurs convictions de toujours, misant sur l'autorité du manager transformé en chef de guerre, rapides à faire sauter des verrous sur le temps de travail ou la délibération parlementaire.

Le biais de confirmation est à l'œuvre. Dans l'urgence, la peur et une situation nouvelle, on pense comme on a toujours pensé. La profusion de discours et d' "informations" facilement accessibles dans les médias et les réseaux sociaux permet de trouver les textes, les données, les arguments d'autorité qui nous confortent dans nos points de vue antérieurs. Quand bien même nous faisons l'effort de chercher quelques repères solides, fiables, à défaut de vérités auxquelles il est raisonnable de renoncer en période de turbulences, nous nous heurtons aux incertitudes et biais de communication inhérents aux instants troublés : les données disponibles sur l'épidémie sont très incomplètes (cf le manque de tests, la publication de chiffres sur les "cas confirmés" et les "décès en milieu hospitalier", ce qui laisse des zones blanches immenses dans lesquelles on peut imaginer ce qui correspond le mieux à nos croyances), les scientifiques se disputent, la science "n'a pas parlé", les autorités publiques sont trop manifestement dans la communication (pour ne pas dire la propagande) pour être totalement crédibles, les journaux jouent la prudence et l'abondance et publient une idée et son contraire. 

Alors, de même que nous devons vivre avec les virus, il nous reste à faire avec ce biais de confirmation qui est tout aussi naturel que les mathématiques ou, par exemple, les réseaux logistiques qui transportent en même temps marchandises, espèces invasives et ouvrages de science fiction qui nourrissent nos pensées, notre vision du monde, et produisent, tôt ou tard, des paroles qui se fondent dans le réel. 

Il n'y a pas d'issue. Le biais de confirmation est là, cousin de la rationalité limitée.

Les antidotes rassurent, placebos sympas, hygiène mentale et sociale que l'on apprend comme la morale à l'école : diversifier les sources (au moins, faire semblant), faire des exercices de doute (2 fois par jour), changer d'avis (une fois par mois, une fois par jour en période de crise intense), cultiver le dialogue avec le plus grand nombre possible de contacts … 

Je me soigne, mais ce n'est pas gagné. J'espère une rémission quand le virus sera calmé.

Francis Odier, 28 mars 2020

25 mars 2020

Faire avec le virus

Une bonne philosophie consiste à garder ses valeurs, son âme, au moins à essayer, dans les périodes troublées et perturbées. Ainsi, même en état de guerre, le chevalier se comporte de manière chevaleresque, le bout-en-train égaye ses camarades, le médecin respecte son serment, le chef cheffe, le cuisinier cuisine. Sinon, tout part à vau-l'eau et la Bérérézina se rapproche à grand pas. 

Les exemples inverses sont plus rares. Le salaud qui se révèle un héros ? Le godillot qui prend des initiatives et soulève les montagnes ? Le téméraire qui se planque ? Il y en a, révélation ou mutation psychologique aussi probable que l'apparition d'une prune jaune sur une variété de prune d'ente, mutation naturelle qui alimente la diversité variétale et qu'un observateur attentif de son verger peut découvrir. 

Que nous dit l'écologie ? Il faut faire avec la nature. Lisez "Penser et agir avec la nature, une enquête philosophique", par Catherine et Raphaël Larrère; Editions La Découverte, 2018. Le fondement de l'agroécologie, de la permaculture, de l'agriculture de demain, est là : faire avec le milieu, les plantes, le terroir ; faire avec les micro-organismes du sol, les insectes ... les plantes les unes avec les autres et avec leurs compagnons coopératifs ou parasites.

Le virus est naturel, qu'on le veuille ou non et n'en déplaise aux complotistes égarés dans leurs fictions. 

Le virus est là. Peu importe comment il est venu. Il est là. 

Maintenant, il faut faire avec.

C'est pourquoi ce discours sur la guerre contre le virus me hérisse tant. 

Dénoncer le virus comme un ennemi est du pur anthropocentrisme stérile. Le virus n'a rien demandé d'autre que de vivre. L'approche guerrière est un inquiétant retour en arrière par rapport aux belles intentions écologiques que les autorités énoncent ici et là et que l'on espérait voir se concrétiser rapidement.

Pour faire avec le virus, il faut commencer par savoir où il est. Il n'y a pas d'issue possible à la crise sanitaire sans développement massif des tests. Le confinement est retardement, mesure conservatoire en attendant que l'on dispose des capacités de tests suffisantes, au niveau de nos amis allemands et coréens. 

Peut-être le confinement serait-il plus facile à vivre s'il était présenté ainsi: la conséquence d'une surprise qui nous fait apparaître démuni, le temps de se préparer pour faire avec le virus, prélude à une conversion écologique plus vaste où on fera avec la nature.

Francis Odier, 25 mars 2020

 

Extraits de l'interview de Claire Marin, "Penser les maladies sur le modèle de la guerre, c'est se méprendre sur l'essence du vivant", Le Monde, 25 mars 2020

"Il ne s'agit pas d'une guerre parce qu'il n'y a pas d'ennemi. (…) La maladie fait partie de la vie au sens biologique, comme la dégénérescence et la mort. Il n'y a pas d'ennemi quand il n'y a ni intelligence humaine ni intention de nuire. Il s'agit d'un phénomène biologique qui nous menace et nous met à l'épreuve, mais ce n'est pas une guerre.

(…) cette expérience a un potentiel destructeur, moralement et psychiquement comparable à une guerre pour certains d'entre nous, en particulier ceux fragilisés par des blessures du passé.."

(…) Jusqu'à récemment, on entendait des discours minimisant la dangerosité du virus, alors qu'il suffisait de discuter au même moment avec des proches italiens pour prendre la mesure de la catastrophe. Il y a là encore la manifestation d'une forme de déni, qui n'est pas sans rappeler notre attitude face aux menaces liées au changement climatique".

22 mars 2020

Zizanie virale

Quelle que soit la performance de nos outils et de nos réseaux numériques, le constat est difficile à contester : la distanciation sociale, pour reprendre l'expression officielle désignant le confinement, est un affaiblissement des liens sociaux. Le confinement étendu produit, mécaniquement, de la dissociation, fragmentation, dislocation … et génère, tout aussi mécaniquement, de la zizanie au sein de la société.

Il suffit de lire les propos ahurissants de la Ministre du Travail à l'encontre des entreprises du BTP, avec cette accusation incroyable de défaitisme, et la réponse vigoureuse de la profession pour prendre conscience que la menace de zizanie est partout, comme le virus. Virus et zizanie voyagent ensemble.

Les disputes, incompréhensions, oppositions entre personnes et groupes sociaux se répandent d'autant plus que la situation de guerre radicalise les positions, chacun étant sommé de choisir son camp entre la participation zélée à l'union nationale ou l'individualisme irresponsable et profiteur. En déclarant la guerre, le président de la République nous invitait au manichéisme. Il y a les alliés et les ennemis. 

Les changements de consignes à rythme rapide renforcent l'obligation de discipline. Tel jour, celui qui continue son travail est inconscient. Le lendemain, celui qui s'arrête est un mauvais citoyen menaçant l'économie. Dans ce contexte, le respect des ordres devient la seule boussole autorisée. Encore faut-il que les ordres soient assez précis pour être appliqués correctement. Alors, les consignes sont affinées, complétées … Et plus elles sont détaillées, plus elles soulèvent des difficultés d'interprétation et plus les écarts à la règle sont nombreux … L'engrenage est engrené … 

A l'inverse de la confiance qui se construit dans la durée et peut disparaître dans l'instant, la zizanie nous a pris par surprise et mettra sans doute du temps avant de se dissiper.

Nous aurons besoin d'une active patience. 

FO, 22 mars 2020

 

21 mars 2020

Les exigences de la cohésion sociale

Les préfets ont reçu les instructions et les appliquent avec célérité. Les arrêtés tombent, tombent, comme à l'hécatombe. Interdiction d'accès à la plage, à la montagne, aux berges et parcs. 

La motivation est sanitaire. Eviter les contaminations mutuelles. 

Certes.

D'accord.

Bien sûr.

Je comprends.

La Constitution le proclame dès son article premier. La France est une et indivisible. La règle doit donc s'appliquer partout, sans réserve. Au diable la diversité, l'altérité, le localisme, la décentralisation, la subsidiarité, le situationnisme. Adieu l'individualisme, père de tous les maux libéraux. Le confinement est une ouverture d'esprit : face au danger, changeons ; écartons le discernement et la responsabilité individuelle que l'on enseigne depuis les Grecs et les Lumières, entreparenthésons le mythe de la liberté, privilégions la discipline à la chinoise.

Quelle est la cause, quel est l'effet ? L'ami Edgar appelle à la prudence. Les causes et les effets sont circulaires, l'effet est devant la cause, les faits sont partout et autour, l'écho se propage comme le virus.

Revenons à nos moutons, si paisibles. Les préfets, comme vous et moi, savent bien que les interdictions prononcées ne sont pas uniquement, et même vraiment, fondées sur des intentions prophylactiques. L'important est la cohésion nationale, l'exemplarité. Que dirait le peuple confiné en ses appartements urbains, la police patrouillant dans la rue, s'il voyait à la télévision les images de privilégiés respirant le grand air de l'Atlantique ou des Alpes sous le soleil printanier ? 

Ainsi, voici l'enchaînement des motivations que l'on peut subodorer : le virus combiné à la situation de la santé publique en France (manque de masques, de capacités de tests, de soignants, de respirateurs, de lits d'isolement …) et à sa tradition centralisatrice induit des décisions visant à limiter la propagation du virus et en même temps à  protéger la cohésion nationale nécessaire pour protéger l'Etat pour que celui-ci soit en capacité de prendre les décisions nécessaires pour maîtriser la crise sanitaire … et demain pour relancer la machine.

La cohésion sociale est à la fois cause et conséquence des décisions prises : en l'absence de cohésion sociale préalable, jamais l'Etat ne pourrait agir ; l'objectif de maintenir la cohésion sociale guide légitimement les décisions de l'Etat, y compris sur des interdictions maladroitement justifiées par le souci de limiter les contaminations.

L'évidence est aveuglante et n'est donc pas énoncée comme telle. La crise est d'abord une question de solidarité humaine. Nous en reparlerons lors de la reprise, du plan de relance et des procès intentés aux boucs émissaires si utiles à la cohésion de la communauté. Chacun aura à se prononcer sur les solidarités à construire.

Francis Odier, 21 mars 2020

19 mars 2020

Le confinement accentue le sentiment d'injustice

Je voulais écrire sur ce sentiment d'injustice qui monte … il me suffit de renvoyer à la presse : 

https://www.lemonde.fr/economie/article/2020/03/19/coronavirus-la-colere-gagne-les-salaries-contraints-de-travailler-par-leurs-entreprises_6033612_3234.html

https://www.lci.fr/population/certains-vont-bosser-la-boule-au-ventre-ces-salaries-qui-ont-l-impression-d-etre-envoyes-au-front-2148419.html 

Des cadres en fonction me relatent des faits similaires : dans leur service, dans leur usine, ils sont confrontés à la grogne, voire la colère de collaborateurs maintenus au poste. Pourquoi travailler encore, nombreux dans un atelier ou bureau, alors que tout s'arrête autour de nous ?

Les services de l'Etat se disent surpris par le nombre de demandes de chômage partiel. Le gouvernement a manifestement surévalué le nombre de personnes pouvant télétravailler. Des chiffres hallucinants ont été évoqués, jusqu'à 30 ou 40 % ! Alors que le télétravail reste l'apanage des cadres et des employés du tertiaire. A chacun ses dénis de réalité, l'Etat, et en particulier l'Education Nationale, n'y a pas échappé en propageant l'idée que le télétravail pouvait maintenir le gros de l'activité.

Pas facile à vivre. 

Il faudra des changements radicaux par rapport aux orientations politique d'avant crise, que les nouvelles solidarités soient puissantes et durables pour que le virus ne sème pas de la cessession sociale et de la violence, mais plutôt une société régénérée. Je suis assez optimiste là-dessus ... je me convainc qu'il faut l'être.

FO, 19 mars 2020