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25 mars 2020

Faire avec le virus

Une bonne philosophie consiste à garder ses valeurs, son âme, au moins à essayer, dans les périodes troublées et perturbées. Ainsi, même en état de guerre, le chevalier se comporte de manière chevaleresque, le bout-en-train égaye ses camarades, le médecin respecte son serment, le chef cheffe, le cuisinier cuisine. Sinon, tout part à vau-l'eau et la Bérérézina se rapproche à grand pas. 

Les exemples inverses sont plus rares. Le salaud qui se révèle un héros ? Le godillot qui prend des initiatives et soulève les montagnes ? Le téméraire qui se planque ? Il y en a, révélation ou mutation psychologique aussi probable que l'apparition d'une prune jaune sur une variété de prune d'ente, mutation naturelle qui alimente la diversité variétale et qu'un observateur attentif de son verger peut découvrir. 

Que nous dit l'écologie ? Il faut faire avec la nature. Lisez "Penser et agir avec la nature, une enquête philosophique", par Catherine et Raphaël Larrère; Editions La Découverte, 2018. Le fondement de l'agroécologie, de la permaculture, de l'agriculture de demain, est là : faire avec le milieu, les plantes, le terroir ; faire avec les micro-organismes du sol, les insectes ... les plantes les unes avec les autres et avec leurs compagnons coopératifs ou parasites.

Le virus est naturel, qu'on le veuille ou non et n'en déplaise aux complotistes égarés dans leurs fictions. 

Le virus est là. Peu importe comment il est venu. Il est là. 

Maintenant, il faut faire avec.

C'est pourquoi ce discours sur la guerre contre le virus me hérisse tant. 

Dénoncer le virus comme un ennemi est du pur anthropocentrisme stérile. Le virus n'a rien demandé d'autre que de vivre. L'approche guerrière est un inquiétant retour en arrière par rapport aux belles intentions écologiques que les autorités énoncent ici et là et que l'on espérait voir se concrétiser rapidement.

Pour faire avec le virus, il faut commencer par savoir où il est. Il n'y a pas d'issue possible à la crise sanitaire sans développement massif des tests. Le confinement est retardement, mesure conservatoire en attendant que l'on dispose des capacités de tests suffisantes, au niveau de nos amis allemands et coréens. 

Peut-être le confinement serait-il plus facile à vivre s'il était présenté ainsi: la conséquence d'une surprise qui nous fait apparaître démuni, le temps de se préparer pour faire avec le virus, prélude à une conversion écologique plus vaste où on fera avec la nature.

Francis Odier, 25 mars 2020

 

Extraits de l'interview de Claire Marin, "Penser les maladies sur le modèle de la guerre, c'est se méprendre sur l'essence du vivant", Le Monde, 25 mars 2020

"Il ne s'agit pas d'une guerre parce qu'il n'y a pas d'ennemi. (…) La maladie fait partie de la vie au sens biologique, comme la dégénérescence et la mort. Il n'y a pas d'ennemi quand il n'y a ni intelligence humaine ni intention de nuire. Il s'agit d'un phénomène biologique qui nous menace et nous met à l'épreuve, mais ce n'est pas une guerre.

(…) cette expérience a un potentiel destructeur, moralement et psychiquement comparable à une guerre pour certains d'entre nous, en particulier ceux fragilisés par des blessures du passé.."

(…) Jusqu'à récemment, on entendait des discours minimisant la dangerosité du virus, alors qu'il suffisait de discuter au même moment avec des proches italiens pour prendre la mesure de la catastrophe. Il y a là encore la manifestation d'une forme de déni, qui n'est pas sans rappeler notre attitude face aux menaces liées au changement climatique".

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