01 février 2011
Le miroir aux alouettes du Grand Paris
Le projet « Grand Paris Express », c’est environ 150 km de métro automatique pour un coût annoncé de 20 à 24 milliards d’euro (selon les sources) et une mise en service prévue en 2025. Ce beau chantier doit se faire en parallèle de gros investissements (12 milliards d’euros) de modernisation et d’extension du réseau existant : prolongement EOLE jusqu’à La Défense, prolongement Ligne 14, achat de matériel roulant pour le RER.
On admirera la précision (16 décembre 2010, www.debatpublic-reseau-grandparis.org) : « Le montant de l'investissement pour la réalisation complète du métro Grand Paris, y compris l'acquisition du matériel roulant est estimé entre 21,4 et 23,5 milliards d'euros ».
Le coût annoncé, autour de 150 M€ / km, est une estimation basse, mais plausible, quand on voit qu’un tramway (réseau aérien, non automatique) en Ile de France peut couter 30 à 60 M€ / km.
Concernant le seul tracé, « le coût linéaire du Métro Grand Paris est estimé à 120 millions d'euros du km, en moyenne, sur l'ensemble des 155 km du tracé ».
Tout cela est-il bien crédible ?
Avant de parcourir quelques chiffres, voilà déjà ma conclusion : un tel projet pharaonique est bienvenu pour qui milite en faveur des transports en commun. Il ne peut aboutir que si on prend la mesure des chantiers gigantesques qu’il faut mener à bien. Le financement est loin d’être assuré. Les délais sont intenables. En attendant les nouveaux métros, un p’tit péage urbain ferait du bien pour accélérer les projets de tram et densifier le réseau Bus …
Francis Odier, 1er février 2011
Pourquoi je ne crois pas que le Grand Paris Express sera construit dans les délais annoncés ?
Pour mémoire, la ligne 14, de Saint-Lazare à Olympiades, c’est environ 20 ans de chantier pour un tracé de 9,2 km. Le projet a été mis à l’étude dans les années 1980, proposé par la RATP en 1987, décidé par le gouvernement Rocard en 1988, ouvert en 1998 avec un premier tronçon entre Madeleine et Bibliothèque François Mitterrand. Le prolongement jusqu’à Saint-Lazare, qui était un élément décisif du projet (Madeleine n’étant qu’une station de Métro de moyenne importance), a été mis en service en 1993. En 2007, la ligne est prolongée au Sud jusqu’à Olympiades. Et pour conclure ce bref historique qui montre qu’un métro automatique ne se fait pas un jour, j’ajoute que le projet initial prévoyait une extension jusqu’à Cité Universitaire avec une correspondance avec la ligne B du RER, mais ce tronçon est resté dans les limbes.
La Société du Grand Paris nous demande de lui faire une confiance aveugle, comme l’illustre cet échange sur le site ouvert pour le débat public :
- Question : Comment la SGP va-t-elle empêcher les dérapages financiers? Et éviter des surcoûts tels que la Cour des comptes a pointés dans son rapport sur les transports ferroviaires en Ile-de-France (+92%)?
- Réponse – le 22 décembre 2010 :
Le rapport de la Cour des Comptes mentionne en effet que "au total l’augmentation moyenne du coût prévisionnel d’un projet entre le montant inscrit au contrat de plan et celui figurant dans l’avant-projet approuvé atteint 92%, soit un quasi-doublement" mais si ce jugement de la Cour des Comptes concerne les projets conduits par le STIF, il n'a rien à voir avec le projet du métro Grand Paris conduit par la Société du Grand Paris.
L'évaluation faite par la SGP repose sur un coût moyen du kilomètre semblable à celui des autres projets comparables menés récemment et sur un coût moyen de gares évalué autour de 80 millions d'euros, ce qui est, là encore conforme avec des couts observés dans des chantiers comparables. Le budget présenté est sincère et ne sous-estime pas des postes importants.
D'autre part, afin de limiter les risques de dépassement liés au chantier lui-même, la Société du Grand Paris, maître d'ouvrage dédié de ce projet, veut conduire les travaux en continu, sans jamais désarmer l'organisation et les moyens humains et techniques de ce projet.
Prenons le cas des gares. Pour l’aménagement d’une gare existante, si on se réfère aux chantiers en cours sur le RER, il faut compter entre 10 et 20 M€, voire 30 M€ pour un gros site (exemple : Nanterre Préfecture), indépendamment du réseau (branchements de voies, aiguillages …). Avec une gare tous les 1,5 km comme cela a été décidé, nous aurons une centaine de gares. Or, « le projet implique la création d’une quarantaine de gares ». Il en reste donc une soixantaine à aménager, soit au minimum un bon gros demi- milliard à débourser. Une paille …
Dans une réponse du 20 décembre 2010, le maître d’ouvrage a indiqué que l’aménagement des gares existantes n’était pas chiffré : « Effectivement, la construction de ces nouvelles gares pourra être accompagnée, si besoin, d’une adaptation des gares existantes afin de pouvoir accueillir en toute sécurité le nouveau trafic de voyageurs ainsi généré. A ce stade du projet, les études ne permettent pas d'établir un programme détaillé des évolutions dans les gares concernées. Les sources de financement, pour cette partie, ne sont pas encore identifiées ; elles seront étudiées, le cas échéant, par les acteurs impliqués, à savoir, notamment, le gestionnaire de l'infrastructure existante et la Société du Grand Paris ».
On appréciera la formule « si besoin », alors qu’il est certain que les gares existantes devront être aménagées. Voir aussi la réponse du 2 décembre 2010 : « Concernant la mise à niveau des stations, le coût du projet intègre la mise à niveau de la ligne 14 existante (passage à 8 voitures et création d’accès supplémentaires si nécessaire), les éventuelles mises à niveau des gares existantes en correspondance ne sont pas comprises dans cette estimation ».
Il ne suffit pas d’investir : il faut aussi exploiter et maintenir. Prenons comme hypothèse que la maintenance annuelle représente 10 % de l’investissement. Lorsque le chantier sera réalisé à moitié, il faudrait donc 1 Md par an en plus du budget actuel de maintenance du réseau. Et les usagers du transport ferroviaire, en Ile de France comme en province, savent bien ce qu’il en coute comme pannes et autres retards dès que l’on néglige l’entretien du réseau ou du matériel roulant.
Parlons du fonctionnement. Le rapport Carrez évalue les besoins de fonctionnement "à un total avoisinant les 43,2 Md€ cumulés sur la période 2010-2025 (en comptant le nouveau métro Grand Paris Express, et aussi les chantiers annoncés d’amélioration de l’existant : prolongement Eole, Ligne 14 …). 3 milliards / an, une broutille … La société du Grand Paris a en charge la construction du réseau, mais n’en sera pas l’exploitant. L’effort financier supplémentaire qui sera demandé aux contribuables et aux usagers reste très incertain – cf la réponse du 1er octobre 2010 :
« Les coûts d’exploitation du Métro Grand Paris seront intégrés aux mécanismes de fonctionnement de l’ensemble des transports de la région Ile-de-France.
Le principe de financement du réseau actuel est le suivant :
Les dépenses de fonctionnement sont réparties entre les recettes, évoquées dans votre question, et qui correspondent à un peu moins de 39% en 2009.
Le « versement transport », correspondant à la participation des entreprises, qui couvre 38% des dépenses de fonctionnement en 2009
Enfin la contribution des collectivités publiques à hauteur de 20.6% en 2009 ; le reste étant composé de recettes diverses
Au sein de cet ensemble « collectivités publiques », la contribution prépondérante est celle du Syndicat des Transports d’Ile de France (STIF), qui provient de la Région (51%) et de chacun des départements de l’Ile de France.
Le niveau global des taxes locales et régionales à la charge des franciliens est lié à de multiples facteurs et il est prématuré d’établir un ratio avec les dépenses de fonctionnement des 155 kilomètres du Métro Grand Paris. »
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02 janvier 2011
Déplacements : un grand retournement ... à petite vitesse
En matière de transports en France, la décennie 2000 – 2010 restera marquée comme celle du grand retournement de tendance : la fin de la croissance continue du trafic automobile.
Les experts sont formels (source : Enquête Ménages Déplacements 2010 sur la grande région grenobloise) : « Depuis 2006, des inflexions incontestables sont constatées dans les enquêtes ménages-déplacements menées dans les grandes agglomérations :
ü baisse de la mobilité totale
ü baisse de la mobilité voiture
ü relance du vélo
ü diminution de la part de marché voiture
ü augmentation de la part de marché TC »
Conf_presse_0612 2010 - enquete ménage.pdf
Le pic automobile est passé, de même que le pic pétrolier.
Une question qui se pose, maintenant, est celle du rythme d’évolution : pendant combien d’années encore les transports vont-ils rester une source majeure de nuisances ?
A cet égard, il est intéressant de comparer ce qui se passe dans l’agglomération grenobloise et hors agglomération :
- la mobilité vélo est en augmentation uniquement dans l’agglomération : entre 2002 et 2010, + 43 % dans l’agglo, - 12 % hors agglo.
- le parc automobile poursuit son développement. Le nombre de voitures à disposition augmente plus vite que la population. L’équipement automobile se développe sur l’ensemble des territoires, mais plus rapidement hors de l’agglomération grenobloise : + 3 % dans l’agglo, + 19 % en dehors.
- la mobilité voiture est en forte baisse, surtout dans l’agglo : - 18 %, contre – 9 % dans le reste de la région grenobloise ;
- à l’inverse, les transports collectifs augmentent plus fortement en dehors de l’agglo : + 22 %, contre + 13 % dans l’agglo. La hausse est plus sensible dans le Grésivaudan où les transports collectifs passent de 6 à 9 % que dans le Pays Voironnais (5% à 6%).
Ce qui apparaît ici, dans les premiers chiffres publiés de cette passionnante enquête ménage déplacements, c’est que rien n’est gagné en matière de mobilité douce ou collective en secteur péri-urbain. Autant l’inversion de tendance est réjouissante, autant la lenteur d’évolution me plonge dans une immense perplexité.
Pour le vélo, au risque de désespérer les municipalités qui ont construit les pistes cyclables ces dernières années, on voit que tout reste à faire en secteur péri-urbain : les statistiques sont cruelles, le vélo reste marginal.
La navette Express Voiron – Crolles (mise en service en 2003) a une fréquentation croissante et très honorable, de nombreuses grandes entreprises ont mis en place un Plan de Déplacement d’Entreprise –cf par exemple le PDE de ST qui a conduit à doubler, voire tripler, le nombre d’abonnés TransIsère, le Grésivaudan a créé en 2009 son propre réseau de Bus … et pourtant, la voiture représente encore 69 % des déplacements dans le Grésivaudan. Au rythme actuel, il faudrait attendre 2040 pour que la part de la voiture passe sous la barre des 50 % ! Et il s’agit d’une statistique en nombre de déplacements, ne parlons pas des km parcourus …
Premier scénario : le report vers les Transports en Commun va s’accélérer car les Transports du Grésivaudan vont monter en puissance, en particulier suite à une campagne massive de communication, et car l’offre ferroviaire va être largement développée. Je voudrais bien m’approprier ces espoirs … mais le réalisme me fait constater que le réseau TransIsère plafonne (cf les restrictions décidées à l’automne 2010), que le Grésivaudan s’inquiète pour le coût de son réseau de transport, que la SNCF cherche à réduire sa dette, que l’électrification de la ligne Grenoble – Chambéry tarde à venir … Bref, la communication ne suffira pas et je crains que nos collectivités locales ne soient pas décidées à investir beaucoup plus dans les transports en commun.
Second scénario : le prix du pétrole retrouve ses niveaux sympathiques de l’été 2008 (avec un sommet à 148 $ le baril). Nous y allons peut-être doucement (91 $ aujourd'hui 2 janvier). La contrainte financière pénaliserait les ménages les plus modestes, et conduirait assez rapidement les élus à se mobiliser pour élargir l’offre de transports en commun. Dans ce scénario, nous subissons la situation économique internationale. Ce n’est pas vraiment satisfaisant.
D’où l’idée qu’on ne peut pas se contenter de jouer sur l’offre : il faut aussi agir sur la demande de mobilité, et d’abord de la demande de mobilité en voiture individuelle. C’est pourquoi il est urgent d’accélérer les études sur le péage urbain … si on ne veut pas rester empoisonné par les voitures pendant des décennies.
Il y a mille et une explications à la situation actuelle en matière de déplacements, mais il n’y a aucune raison de se résigner à une évolution à petite vitesse. Pensons que le téléphone mobile et Internet se sont déployés en une dizaine d’années, souvenons-nous de la vitesse de construction du métro parisien au début du 20ème siècle, relisons l’histoire de l’industrie de l’armement aux Etats-Unis pendant la seconde guerre mondiale …
Allez, c’est décidé, en 2011, on appuie sur le champignon du péage, on lève le pied sur la bagnole, on installe un plan du réseau à tous les arrêts de bus, on prend le risque de la gratuité pour les bus … et on poursuit notre petit bonhomme de chemin pour la construction du réseau cyclable.
2 janvier 2011
Sur le péage urbain : www.edgarie.fr/archive/2010/08/10/pour-un-peage-urbain-a-...
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