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05 octobre 2009

Privatisations : où sont les retours d'expérience ?

« On a tout essayé, mais on n’a rien évalué ».

C’est en 2003, lors d’un colloque professionnel, que j’ai entendu René Soubie, alors dirigeant d’Altédia et aujourd’hui conseiller social de Sarkozy, énoncer de manière forte pourquoi le pays ne parvenait pas à progresser sur la question du chômage. Il faisait référence au mot désabusé de Mitterrand, envahi par le renoncement au crépuscule de sa vie : « Pour le chômage, on a tout essayé ». Bien sûr, c’était faux, mais là n’était pas le propos de Soubie. Il voulait insister sur la nécessité de l’évaluation : « on a (peut-être) tout essayé, mais on n’a rien évalué ».

Je suis curieux de savoir si l’éminent conseiller a demandé que l’on procède à l’évaluation des privatisations. Y a t il quelque part, à l’Elysée ou à Bercy, un dossier intitulé « France Telecom (FT), retour d’expérience de 10 ans de privatisation » ?

Il y a bien le rapport Douste Blazy sur la gestion des entreprises publiques, rapport qui évoque la crise 2002 de surendettement de FT, mais ce n'est pas un bilan sérieux des privatisations. Rapport Douste Blazy 2004 entreprises publiques.pdf

Préparée par le gouvernement d’Alain Juppé, puis décidée et mise en œuvre par celui de Jospin, la privatisation de France Telecom a été lancée en 1997 par une « ouverture du capital » qui devait permettre une « stratégie internationale (…) permettant de rester l'un des tous premiers opérateurs mondiaux ».

On pressent maintenant ce que la privatisation de France Telecom a apporté à ses salariés. Mais qu’en est-il du point de vue sociétal ? A quoi a servi la privatisation pour la société dans son ensemble ? Est-il avantageux pour les français ou les allemands que France Telecom et Deutsche Telekom aient échangé des participations ?

C’est d’abord la technologie qui est à l’origine des bouleversements qu’a vécu le secteur des télécommunications depuis une quinzaine d’années : la téléphonie mobile, Internet, puis la téléphonie sur IP (sur Internet), l’Internet mobile etc. Tous ces changements se seraient produits avec ou sans privatisation. Par exemple, au siècle dernier, France Telecom, entreprise publique, avait lancé Itinéris et Wanadoo. C’est déjà de l’histoire, mais il faut le rappeler à ceux qui pensent que seul le privé est capable d’innover et qui marmonnent sans cesse que « entreprise d’état = immobilisme ».

La privatisation a-t-elle eu un effet sur les prix ? Peut-être, à la marge, attendons, je ne désespère pas de voir la Cour des Comptes faire ce fameux « retour d’expérience » ! Il a fallu financer des acquisitions à l’étranger (pour quel intérêt sociétal ?), installer 3 antennes relais là où peut-être une seule aurait suffi … Et maintenant, l’Etat s’arrache les cheveux pour savoir comment inciter les opérateurs à investir et développer les réseaux haut débit que chacun voudrait voir arriver à sa porte.

L’exemple des autoroutes est tout aussi édifiant. Là on dispose d’un premier retour d’expérience, celui réalisé par la Cour des Comptes dans son rapport 2008. Les constats sont sévères, même si tout ceci est écrit en langage diplomatique. Cour des Comptes 2008 - l'Etat actionnaire.pdf Cour des comptes 2008 - peages-autoroutiers.pdf

François Bayrou avait eu la bonne idée de faire un recours au Conseil d’Etat, mais il a perdu ! Conséquences : hausses de tarifs non contrôlées par l'Etat, le réseau est figé, construire une nouvelle entrée ou déplacer un péage devient extrêmement difficile. L’aménagement du territoire est perdant, nous sommes tous perdants (sauf, probablement, quelques actionnaires heureux).

Dans le secteur de l’Energie, l’affaire est entendue. Les exemples étrangers ne manquent pas pour montrer les effets pervers de la privatisation. Le cas typique est celui de la Californie, où la privatisation a entraîné le sous dimensionnement des investissements électriques pendant plusieurs années. En France, l’Etat a du intervenir pour limiter les hausses de tarifs subies par les industriels partis trop vite chez les « fournisseurs alternatifs ». La « concurrence » est virtuelle car c’est l’Etat (ou plus exactement la collectivité publique, car toute une organisation illisible pour les citoyens a été mise en place) qui gère le réseau et qui fixe les tarifs, y compris les tarifs de gros auxquels les revendeurs s’approvisionnent auprès d’EDF. Les « fournisseurs alternatifs » (autres que EDF) font de la publicité mensongère en faisant croire qu’ils vendent l’électricité qu’ils produisent, alors qu’ils ne sont, pour l’essentiel, que des vendeurs et des facturiers d’une électricité produite et distribuée par l’entreprise nationale.

L’ouverture du marché de l’énergie et la filialisation de la distribution sont des puissants vecteurs de désoptimisation car il faut dupliquer les organisations, les outils, certaines compétences … EDF GDF vendait du gaz et de l’électricité. Les deux entités ont été séparées. GDF vend désormais de l’électricité achetée à EDF – et réciproquement, EDF vend du gaz. Quel intérêt pour le consommateur ? Pour le pays ?

Tant qu’il n’y aura pas une commission pluraliste sur le retour d’expérience du changement de statut des grandes entreprises nationales depuis 1995, comment voulez vous que je croie qu’il faut changer le statut de la Poste ?

Rocard est disponible, mais on pourrait aussi nommer un quartet de parlementaires avec Coppé - Aubry – Bayrou et Mélenchon, obliger Attali, Guaino et Orsenna à se mettre d’accord sur quelques constats, mandater la Cour des Comptes, saisir le Conseil Economique et Social, commander une étude à Mac Kinsey en binôme avec les organisations syndicales … les moyens ne manquent pas pour évaluer les réformes passées et éviter la fuite en avant en occultant l’expérience.

4 octobre 2009