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05 octobre 2009

Drames chez FT - un problème de culture ?

Alors que la situation humaine dramatique chez France Telecom devient un sujet public, il faut s’interroger : comment se fait-il que des dirigeants qui avaient toutes les informations nécessaires pour apprécier la situation aient laissé ainsi pourrir le climat social et les ambiances de travail ? aient fermé les yeux sur les cas de détresse qui leur étaient rapportés ?

Je suis intervenu pour la première fois chez France Télécom, à la demande d’un CHSCT, en 2005. Puis chaque année jusqu’à ces derniers mois. Souvent (pas toujours, mais trop souvent), de manière nettement plus criante que dans les autres grandes entreprises où j’ai eu l’occasion de plonger, j’ai rencontré, comme mes collègues, des dysfonctionnements majeurs de l’organisation et du management, ce qui produit des salariés en grande difficulté, incapables de faire face aux contraintes et aux exigences qui s’accumulent : mobilité forcée, défaillances et lacunes des outils, pression de l’encadrement sur les résultats (culture du chiffre), tensions avec les clients, travail vide de sens etc.

Les alertes n’ont pas manqué, à l’oral comme par écrit : les salariés eux même, les médecins du travail, les CHSCT et leurs experts, des observateurs externes (journalistes, sociologues …), et un certain nombre de cadres et de dirigeants qui ont pris la mesure des problèmes. Les alertes étaient nombreuses, convergentes et persistantes : il ne pouvait pas s’agir de fausses alertes, d’erreurs d’appréciation ou de difficultés uniquement locales ou temporaires.

Pourtant, jusqu’à fin septembre 2009, la politique de restructuration brutale, initiée au début des années 2000 et qui s’est intensifiée depuis, a été poursuivie, quel qu’en soit le prix humain. Pourquoi ?

Impossible ici de ne pas penser à ces renoncements quotidiens, que l’on voudrait insignifiants, qui parsèment de médiocrité notre idéal pour la société. Nous savons, et pourtant nous ne faisons rien. Pourquoi ?

La priorité pour le confort immédiat et le conformisme social ne suffisent pas à expliquer l’ignorance et le mépris vis-à-vis des souffrances individuelles.

Ils n’ont pas entendu les alertes car ils ne voulaient pas les entendre, car ils étaient dans un schéma mental (le business dans un environnement libéral) et des préoccupations (les parts de marché, le cash flow, la croissance, la dette, la concurrence …) où il n’y a pas de légitimité, pas de place, pour les lanceurs d’alerte.

On peut interpréter cette situation en se disant qu’il y a eu des défaillances éthiques du management. Mais je ne pense pas que ce soit l’analyse la plus fructueuse.

Les sciences cognitives ont franchi une belle étape quand l’idée de « rationalité limitée », chère à H.A. Simon, s’est imposée parmi les facteurs explicatifs des décisions humaines : nous décidons de manière rationnelle, en raisonnant et en procédant à des choix fondés sur des critères, mais notre information est toujours parcellaire et notre capacité de calcul toujours restreinte par rapport aux besoins.

Pour comprendre la rationalité limitée, il faut élargir la notion d’information à celle de culture, au sens des connaissances, de l’expérience, des comportements, des rites … que l’individu s’est approprié et dans lesquels il baigne.

A mon avis, le manque de culture sociale, de culture sur le travail, explique largement l’enfermement de certains dirigeants dans une vision désincarnée de l’entreprise, une vision où les modèles, les chiffres et les processus occupent une place hypertrophiée, au détriment de la réalité, complexe et rebelle à la volonté des plus grands stratèges.

Aussi brillants soient-ils, nos dirigeants manquent parfois de culture.

1er octobre 2009